Le Château de Lunéville, le Petit Versailles Lorrain.
Somptueux palais édifié par les ducs de Lorraine, Lunéville a des airs de ressemblance avec Versailles. Il accueillit entre ses murs des princes, des rois et des philosophes au siècle des Lumières.
Son histoire est surprenante et pleine de mystères, il fût aussi le lieu où s’inventèrent dessert et jeu de société qui sont venus jusqu’à nous.
Un château féodal
Dès l’an mil, un château-fort en bois existe à Lunéville. Ce château féodal devient la résidence de villégiature des ducs de Lorraine à partir du XIIIe siècle.
En 1702, le Duc de Lorraine Léopold 1er, s’éloignant de sa capitale, Nancy, occupée par les Français, choisit Lunéville pour s’y installer avec sa cour.
On croyait à peine avoir changé de lieu quand on passait de Versailles à Lunéville » : le bon mot de Voltaire avait des allures de sarcasmes, tant la rivalité était grande entre le puissant duché de Lorraine et Louis XIV. Pour assurer l’accession au trône d’Espagne de son petit-fils Philippe duc d’Anjou, futur Philippe IV, le Roi-Soleil fut contraint de restaurer la suzeraineté impériale sur les duchés de Lorraine et de Bar. Par le traité de Ryswick (1697), Léopold Ier (1679-1729) récupéra ses terres et s’installa non dans la capitale nancéenne, encore occupée par l’armée étrangère, mais à Lunéville. Hissé au rang de résidence ducale, le modeste château féodal, lieu de villégiature des ducs de Lorraine depuis le XIIIe siècle, est aussitôt revu et corrigé par Germain Boffrand (1667-1754) à qui l’on doit également le château de Haroué : l’architecte le transforma en véritable « Versailles lorrain ». Élève de Jules Hardouin-Mansart et du sculpteur François Girardon, il s’entoure d’artistes, comme François Dumont (1688-1726), qui pareront les façades de mascarons, captifs fougueux, satyres et nymphes expressives. À l’image des innovations d’André Le Nôtre à Versailles, les parterres du jardin « à la française » se couvrent de cascades et bassins ornés de sculptures allégoriques et mythologiques sous les ciseaux de Barthélemy Guibal (1699-1757). Tantôt fidèle à la beauté classique, tantôt relevant de l’exubérance rocaille insufflée par Stanislas Leszczynski (1677-1766), ancien roi de Pologne et duc de Lorraine, ces sculptures, ainsi que les pavillons et kiosques qui les accompagnaient, furent détruits par Louis XV, qui avait récupéré le duché à la mort de son beau-père. Sur une trentaine, seuls six groupes sculptés ont survécu et témoignent des fastes d’antan.
Stanislas Leszczynski en devenant le souverain du château fût le plus illustre des propriétaires de Lunéville. Il fit de Lunéville l’une des principales cours européennes du XVIIIe siècle, dans les domaines intellectuels et artistiques. Sa fille s’est mariée avec le roi de France Louis XV. Ce qui donne quelques privilèges.
Les plus grands philosophes du siècle des Lumières se pressent à sa cour, comme Voltaire ou Montesquieu. De nombreux tableaux et statues ornent le château, la cour d’honneur, les jardins…
Stanislas embellit le domaine par la construction de fabriques, sortes de petits pavillons exotiques : l’un d’inspiration turque, un autre dans l’esprit des pagodes chinoises, un autre où s’animent 88 automates…
Crépuscule
En 1766, un incendie embrasait la robe de chambre de Stanislas, lui coûtant la vie. Conséquence immédiate, ses terres furent rattachées à la France. Mais, désargenté après les dépenses somptuaires de Louis XIV, le royaume dut transformer l’édifice en caserne de cavalerie. Désaffecté après la Révolution, le château voit sa chapelle transformée en magasin à fourrage. Malgré le réveil patrimonial de la Restauration, Prosper Mérimée, à la tête de la jeune commission des monuments historiques, refuse de classer le château. Il faudra attendre 1998 pour qu’il le soit en totalité, cinq ans seulement avant qu’un terrible incendie ne le ravage de part en part dans la nuit du 2 au 3 janvier 2003.
Mais il y a 300 ans, le château de Lunéville brûlait pour la première fois… sur treize.
Le château de Lunéville est-il maudit ? Le premier incendie a eu lieu le 3 janvier 1719. Ce jour-là, à 5h du matin, un incendie se déclare dans l’aile droite du château. En quelques heures, toute la partie sud-est, comprenant les appartements ducaux, est détruite, et sept personnes meurent, alors que la construction de l’édifice touchait à sa fin.
Dans les temps qui ont suivi, les sinistres se sont enchaînés avec une inquiétante régularité : 1739, 1744, 1755, 1759, 1762, 1766, 1789, 1814, 1849, 1871, 1961 et 2003.
Saviez-vous que le baba au rhum est né…en Lorraine au château de Lunéville ?
Ce monument de la pâtisserie est né à Lunéville, près de Nancy, au début du 18e siècle. On le doit au génial chef pâtissier Nicolas Stohrer, qui s’occupait de l’ancien roi déchu de Pologne Stanislas Leszczynski. Dans son château, ce dernier aimait manger soit des kouglofs ou des gâteaux polonais qui lui rappelaient ses origines. Mais ceux-ci étaient un peu dur et il n’avait plus les dents en très bon état. C’est alors que son chef cuisinier eut la bonne idée d’imbiber ses gâteaux pour les ramollir. Et cela commença non pas avec du rhum – il n’y en avait pas à Nancy en ce temps-là – mais avec du vin de madère ou de tokay, ce qui rendait le gâteau beaucoup plus moelleux.
L’origine du jeu du Nain Jaune :
Célèbre nain de la cour de Stanislas surnommé affectueusement « Bébé » par le Duc de Lorraine, Nicolas Ferry, né le 11 novembre 1741 à Champenay dans les Vosges, est passé à la postérité pour désigner un nouveau-né dans notre langue. Atteint d’une forme de nanisme, il vécût près de 18 ans au Château de Lunéville où il fut adoré de presque tous à la Cour Souveraine de Lorraine. Racontons l’histoire de ce personnage hors du commun.
Il fut un choc pour ses parents à sa naissance. Minuscule, le nourrisson ne mesurait que 19 centimètres et pesait seulement 612 grammes. Il était si petit qu’on le faisait dormir dans un sabot. Contre toute attente il survécut et sa renommée grandit au point de parvenir jusqu’aux oreilles de Stanislas. Le dernier Duc de Lorraine invita alors ses parents à Lunéville pour voir l’enfant. Bouche-bée à la vue du petit, il leur proposa alors de le prendre à sa charge. Ces derniers acceptèrent contre une belle somme.
Nicolas Ferry grandit donc au Château de Lunéville. A quinze ans, il mesurait moins de 70 centimètres, tout en présentant des proportions harmonieuses. Stanislas le faisait habiller comme un prince avec des vêtements colorés. Il fit même aménager dans une pièce du château une maison en bois à la taille de son homme miniature et lui fit construire une calèche tirée par quatre chèvres pour se promener dans le parc. Nicolas disposait aussi d’une fourchette et d’un couteau adaptés à sa taille. Inventeur du baba au rhum et bon vivant, Stanislas devînt le meilleur ami de Nicolas Ferry. Le Duc de Lorraine le surnommait affectueusement « Bébé ». Il s’agit de la plus ancienne attestation de ce mot qui finit par désigner le petit de l’homme. Stanislas riait aux éclats devant les facéties et les bêtises de Bébé. Notamment lorsque celui-ci passait sous les grandes jupes des filles pour leur arroser les fesses. Ou encore un soir, au cours d’un grand dîner, quand il se cacha dans un énorme pâté de la forme d’une tour avant d’en sortir à la surprise générale en tenue de guerrier casqué et armé. La célébrité de Bébé atteignit même Versailles. Il y accompagnait en effet Stanislas quand le Duc rendait visite à sa fille Marie, épouse de Louis XV.
Mais Bébé devînt triste. Il supportait mal sa captivité à Lunéville. C’était un garçon lunatique, au caractère changeant. Il pouvait être ainsi parfois rieur, parfois irascible à en devenir méchant. Bébé s’enfermait souvent dans sa maison en bois haute d’un mètre pour bouder et passer ses colères. Stanislas tenta alors de le distraire avec une maison roulante. Il créa également pour lui un jardin clôturé avec des petits animaux. En 1759, Mme Humircka, une cousine polonaise du Duc de Lorraine, vînt séjourner au Château de Lunéville. Elle était accompagnée de son nain Józef Boruwłaski, surnommé « Joujou ». Plus âgé, plus cultivé et plus intelligent, il s’attira rapidement les foudres de Bébé. Il était aussi plus petit que lui. Joujou mesurait en effet un pouce (2,54 cm) de moins que Bébé qui en faisait 29, soit 72,5 cm. Jaloux, Bébé essaya de jeter Joujou dans le feu de la cheminée. Alerté par les cris de Joujou, Stanislas réussit à le sauver et Nicolas Ferry reçut une bonne correction.
En dehors du Château de Lunéville, Nicolas Ferry était surnommé le « Nain Jaune », en référence à un personnage cruel de l’un des contes de fées de la Baronne d’Aulnoy publié en 1698. Un nouveau jeu de cartes et de hasard mêlé de stratégie apparut en Lorraine vers 1760, à savoir le Jeu du Nain Bébé, qui devînt plus tard le Jeu du Nain Jaune. Autre héritage de Nicolas Ferry passé à la postérité.
Bébé est également associé à une légende. On raconte ainsi que Stanislas et Nicolas Ferry avaient passé un pacte. Ce dernier aurait demandé à son maître de lui trouver une épouse. Après de nombreuses recherches, le Duc de Lorraine essaya en 1762 de le fiancer avec Thérèse de Sauvay, une naine vosgienne de 90 centimètres. Mais bien qu’âgé de vingt ans, Bébé était rongé par un mal étrange et semblait très vieux. Il devait certainement souffrir de progeria ou syndrome de Hutchinson-Gilford, une maladie génétique extrêmement rare qui provoque des changements physiques qui ressemblent à une sénescence accélérée.
Le mariage n’eut finalement jamais lieu et Bébé fut condamné à la solitude. Stanislas n’ayant pas respecté son pacte, la légende veut que les colères du spectre de Bébé déclenchent des incendies au Château de Lunéville depuis des siècles. Certains pensent aussi que ce seraient elles, et non les dragons, qui seraient à l’origine de la mort du dernier Duc de Lorraine, grièvement brûlé par le feu de sa cheminée.
Bébé hanterait-il encore les couloirs du château ??